Un mot est un pas
- Chut !
un mot est un parachute
Un mot est un pas
- Chut !
un mot est un parachute
Du fond de ses dentelles et des rubans et des soieries
elle regarde le monde tourner de moins en moins rond Manie
elle observe les dames en leur élégante tournure
chercher la bonne affaire dans les coupons de chintz et de bure
Manie vingt ans chez les chiffonniers
ça la fait pas vraiment chanter
quand elle rentre le soir sensation du devoir bien fait
c'est pas pour s'asseoir souriante devant la télé
Manie elle change le monde elle ne fait pas comme
s'il n'y avait que l'argent pour compenser carbone
Manie elle change le monde elle tend des voiles en mouchoirs blancs
sur des cordes pour empêcher que ne s'y pendent les mendiants
tout au long de la mode elle s'entête Manie
de nouveau bruit de botte en rire inconnu de fille
elle replie tout le monde devant ses yeux tranquilles
vers l'abri des tissus qu'a reniés la ville
quand les ombres à la nuit sont derrière les rideaux
nues autant qu'habillées elles sont le même tableau
et s'il fait un peu froid ou s'il fait un peu chaud
elles iront chez Manie retourner leur manteau
chic et sans choc mon choix est fait je m'habille chez Manie
j'ausculte ton stock, d'acc ? que ça tourne et que ça commedia
les longs colliers qui roulent les bracelets qui glissent
ça fait de la musique les yeux des enfants se plissent
leurs cils sur mes oripeaux moi j'ai les joues qui rient
voilà leurs mains qui tapent, voilà leurs yeux qui brillent
c'est pas que de la sape, madame, je m'habille
un peu comme on attaque sûr de son strike aux quilles
Manie elle change le monde elle ne fait pas comme
s'il n'y avait que l'argent pour compenser carbone
Manie elle change le monde elle tend des voiles en mouchoirs blancs
sur des cordes pour empêcher que ne s'y pendent les mendiants
Ça sent pas bon ce matin
couchée trop tard sans doute, le courage en déroute
vautré, on regarde au loin le baobab qui grandit serein
derrière un mont de satin, juste là, en équilibre, sur la ligne de notre main
ça sent pas bon ce matin
ça sent le chat qui tousse sur le pas de la porte
ça sent la jolie mousse imbibée de cloportes
ça sent l'armoire véreuse bourrée de linge pas propre
ça sent la gale fiévreuse de mains qui se tripotent
ça sent pas bon ce matin
ça sent l'indolence, ça sent le chagrin
ça sent la pluie qui trempe le poil de vieux chien
c'est un jour d'amnésie, un jour cent pour cent gris
une matinée morte qu'il vaut mieux qu'on oublie
la journée du joker, la journée sans amis
où quand sonne le filaire, ça vient de Tunisie
pour te vendre du solaire, c'est rentable à crédit
en regardant dehors, tu te dis on oublie
et puis ça sent si fort, doit y avoir une souris
ou un kangourou mort, quek'part sous le tapis
ça sent pas bon et c'est une journée pas bien
où qu'on n'a pas les mots pour dire qu'on en a plein les reins
où qu'on a les marmots toujours collés au train
où quand on fait un pas, on croit qu'on en fait vingt
où la vaisselle pourrie, on s'dit qu'on la f'ra d'main
un jour de poésie, d'orteils cognés dans les coins,
de chaussettes moisies et de vomi du chien
ça sent pas bon aujourd'hui
ça sent le vieil oncle tombé de son lit
ça sent l'arrière-cour d'arrière-cour de déchetterie
ça sent pas bon ce matin
je le sens bien, c'est mal parti
il est déjà midi sur l'horloge du gamin
et la petite aiguille collée n'indique rien du tout
sinon que je n'ai pas changé la couche du petitou...
ça sent pas bon ce matin...
Mademoiselle pied bot patiente devant la porte
elle bat la mesure elle attend son gros lot
qu' la fin de revue lui apporte
quand le clown fatigué tout en sueur s'écroule en bas de son échelle
ce sont ses os qui grincent ou peut-être le vent dans les tissus volants
quand le clown affamé maigre et échevelé rajuste son ombrelle
c'est pour mieux se cacher des bravos un peu lents à venir l'acclamer
personne pour les cris personne pour les hourras
à croire que la claque s'est perdue ce soir
sur l'pavé de la ville qu'elle bat et rebat,
le pavé d'une ville qu'elle boit de bar en bar
Mademoiselle pied bot
le ventre comme un tonneau
se lève de sa chaise
à qui sont les marmots
sortis du chapiteau
ceux-là ne manquent pas d'aise
hé toi le ptit rousseux rentre donc là-dessous
tes parents ont payé tu restes jusqu'au bout
où est perdue la claque, la claque n'est pas au poste
son poste est au rideau à tirer les ficelles
d'un ancien chapiteau pour faire voler les bravos
comme des hirondelles
Mademoiselle pied bot
attend sur tabouret
pompeuse ouvreuse-artiste
Monsieur Claque Pierrot
sur fond de Cabernet
il n'est pas égoïste
il achète c'est idiot
la ville au grand complet
qui n'a pas vu la piste
les ampoules du bistrot
chauffent son numéro
d'Monsieur Claque-Ministre
ce n'est qu' Monsieur Clapet
de Mademoiselle Pied Bot
qui l'attend optimiste
le ventre plein d'un marmot
qui aimera l'bistrot
autant que sa maman
et autant que le cirque
Je suis arrivée
la grille sur le pavé brille de brume rouillée
les arbres du jardin ploient sous le temps écoulé
depuis que je me suis cherchée
je suis arrivée
sur le souffle du vent doux de mes pensées apaisées
aux portes d'un temps qui ne s'enroule plus à mes poignets
à l'abri
de mes délires j'escalade les ruines
je m'arrime
ma barque mon berceau dévaleront les cimes
je pousse la porte et je danse
l'éphémère au dessus de l'herbe s'élance
la pente est douce et je n'ai que faire de l'été
je suis arrivée
c'est une heure de nuit où j'écris obligée
ta joue chaude et ton sang tes cheveux emmêlés
et la marque de l'ange à ton souffle endormi
tout cela à veiller, tout cela, toute ma vie
je pourrais ne penser qu'à toi chaque seconde
m'arrêter de vieillir en riant de tes rires
je pourrais oublier que le temps mène la ronde
et prétexter tes soins pour ne plus réfléchir
je pourrais ressortir les photos pour la joie
pour les fêtes et les danses, les Noëls et les Rois
je pourrais fredonner, retrouver la cadence
de celle qui, même un prince, ne mariera
sur le métier, souvent, mes mots ont rejailli
j'y retrouve le temps et les larmes taries
sur le bout de mes doigts où je touche la vie
d'où je viens, je retourne au petit matin gris
sur le pavé fiévreux, sonne l'écholalie
tissée de laine blanche au gré de ma folie
j'y brode des mots de toi, qui grandit quand je penche
je tombe sous ta voix qui fleurit quand je ploie
ne masquez pas mes yeux au jour de ma défaite
je veux te voir courir là où je n'irai pas
je veux mourir debout en te regardant naître
te dire « voici la vie », et t'abandonner là
et tu dors petit corps et tu soupires d'aise
dormir, c'est tout ton règne et c'est tout mon fardeau
et tu attends demain pour m'achever peut-être
que je tresse, martyre, des couronnes de mots
si j'avais eu le temps j'aurais choisi d'abord
les photos de famille dans les livres précieux
et leur papier de soie un peu froissé au bord
à protéger des doigts et des rayons des cieux
sur les murs les tableaux avaient-ils eu un prix ?
Nous, s'ils nous étaient chers c'était parce que la nuit
quand on ouvrait les yeux on pouvait deviner
leur présence familière dans les cadres dorés
ma mère aimait le bois et le tournait si bien
elle accrochait partout des dentelles de sapin
elle avait amassé comme autant de bonheurs
des canevas sans âge, l'angélus, les glaneurs
elle s'était envolée, on était rassemblés
pour une ultime et belle soirée familiale
en allumant dans l'âtre la dernière flambée
le cousin chagriné n'a pas pensé à mal
si j'avais eu le temps j'aurais vite attrapé
un vieux châle en dentelle que je lui connaissais
cachée près des fenêtres quand dans les soirs d'été
les vives lucioles succèdent aux demoiselles
si seulement j'avais su si j'avais deviné
j'aurais mis à l'abri les historiques frusques
d'un grand-oncle parti pour tous nous protéger
toujours jeune en photo, mais mort sur le front russe
il y avait à l'étage dans une boîte en fer
la maison achetée, contrat devant notaire
dessous les signatures de deux siècles passés
et un nom, comme un or ou un deuil à porter
elle regardait la lune elle regardait le ciel
et elle avait raison et je repense à elle
les miroirs ne valent que par ce qu'ils reflètent
et le charme d'une maison n'est que dans ses fenêtres
elle regardait la lune elle regardait le ciel
je pense à la maison et je pense à ma mère
poussière tu étais, mais poussière éternelle
quand se sont effondrées les poutres sur les pierres
le cristal s'est brisé, la fête a commencé
il montait une odeur d'encens rituel
tandis qu'un dieu léchait d'une langue cruelle
sans faire de distinction les bois et les dentelles
personne n'est mort ce soir on me l'a répété
le matériel c'est triste le matériel tant pis
mais les yeux des photos les fantômes du passé
sont morts une seconde fois quand le feu a tout pris
Je l'avais dans ma poche la photo de maman
froissée et un peu moche, mais merci le hasard
tu vois, petite fille, ici c'était ma mère
et c'est tout ce qui reste, cette photo d'hier
au fond d'un porte-feuille ouvert avant sur des chimères
un accordéon se mourrait
sur le plancher d'un soir de bal
sur une robe froissée des joues pâles
la lune n'éclairait plus les bouquets
l'accordéon se lamentait
qu'il est triste ce soir de bal
dans leur costume de carnaval
ultime tour de piste des appelés
oh pour un numéro c'est un beau numéro
que tu en sois fiérot ou triste tu as le gros lot
pour un numéro sur la liste,
tu es fier ou triste,
elle a le cœur gros
l'accordéon se reprenait
hissez les cœurs à bas le lacrymal
on a fait des guirlandes avec le journal
les lampions optimistes se balancent légers
et l'accordéon s'envolait
derrière Armand sérieux et derrière Luce pâle
qui s'en allaient le long d'un chemin vicinal
comme des cailloux blancs égrener leurs souhaits
Armand, Luce dormaient dans les coquelicots
le vent volant une page au journal
l'accordéoniste un peu pâle
tout seul sur la piste a cherché son numéro
C'est pas tout neuf, chez moi
ç'a pris l'hiver et le grand froid
c'est pas tout neuf, tu vois
la guerre aussi est passée par là
et c'est ouvert aux quatre vents,
chez moi
ça crie misère, ça crie peut-être
qu'ah, ça ira
et les mots y sont des fenêtres
où les oiseaux ne se posent pas
c'est fissuré, chez moi
taloché, rafistolé façon coup droit,
Rambollywood, de la
feuille d'or sur des murs maçonnés pas droit
c'est pas joli-joli,
chez moi
entre l'erreur et la connerie
le faux-pas
ça ne brille pas d'innocence
ça brillantine ses déceptions
ça s'illumine la rue pas d'chance
ça s'hypothèque sur un balcon
c'est pas folie,
chez moi
ça suit la vie,
ça suit le fil,
une maille à l'envers une maille à l'endroit
c'est pas tout neuf, chez moi
c'est pas parfait, ça risque pas
mais où as-tu vu qu'ailleurs
ça tournait droit ?